LOUISE DUHAMEL – Ski-se-Dit

 

On a vu toutes sortes de projets prendre forme depuis le début de la pandémie. Certains, peut-être vous-même, ont pétri du pain. D’autres ont joué pour la première fois du ukulélé, des notes de piano ou de l’aiguille à tricoter. La plupart des nouveaux projets qui ont vu le jour nous ont permis d’éviter la monotonie, la sédentarité ou la dépression durant ces temps de confinement. Pour échapper à la déprime, Bonnie Baxter, artiste et résidente de Val-David depuis le début des années 1980, s’est adonnée à la culture des tomates, de beaucoup de tomates!

La construction du jardin de tomates fut tout un accomplissement. Créer de la vie, s’inquiéter de sa fragilité, s’assurer de sa survie au quotidien, craindre un futur jamais garanti, s’énergiser devant l’acte créateur… Que d’émotions à gérer, ça bouscule une vie. C’est être bien en vie!

Les petits gestes, posés au quotidien (semer, arroser, repiquer, pincer, planter, arroser, désherber, tuteurer, arroser encore, couvrir de toiles, récolter, transformer…), l’ont ramenée à l’essentiel de la vie, de sa vie, la création encore et toujours.

C’est un privilège que celui d’être témoin de la croissance, à partir de l’infiniment petit, d’une graine mise en terre jusqu’à la tomate elle-même. Oh! Elle les a bien bichonnés, ses plants de tomates. Bonnie s’est inquiétée pour eux, car elle vivait de l’espoir de remettre au comptoir alimentaire le fruit de son labeur, soit toute sa récolte. On aurait pensé que sa contribution serait une goutte d’eau dans l’univers de l’insécurité alimentaire, mais elle est en fait beaucoup plus que ça. Bonnie a aussi relevé le défi de partager avec nous ce qu’il y a de plus créateur dans la culture des tomates tout comme dans la création d’une œuvre artistique. Je vous explique…

Bonnie Baxter, l’être humain, a planté des graines de tomates comme d’autres ont planté des arbres. Le temps d’une saison, ses mains ont travaillé dans la terre avec plusieurs volontaires pendant que sa tête voyageait autour du monde à la recherche de penseurs, d’idéateurs et de créateurs artistiques.

Bonnie Baxter, l’artiste, a installé un lieu de création en pleine nature. Elle a créé un endroit magique pour que, le temps d’une improvisation, des voix naissent de la terre ou y retournent. Dans ce jardin, des voix philosophent, d’autres chantent, murmurent, poétisent sans distinction de générations : genres, couleurs… Dans ce jardin, des corps se dénudent, d’autres dansent ou se contorsionnent autour d’une barre verticale. Ces sons, ces gestes, ces respirations, ces pensées vous toucheront sans doute et peut-être vous transformeront-ils, l’art étant une matière à faire réfléchir.

Cette aventure de culture des tomates fut donc aussi matière à penser… surtout par le besoin d’en redonner le fruit à la communauté mais aussi parce que les tomates devaient être bonnes, nutritives et des plus désirables. Une fois récoltées, elles ont été mises en quarantaine pour les amener à maturité, puis elles ont chauffé comme l’antre d’un volcan en pleine ébullition. Elles ont été broyées pour transformer leur chair en coulis bien rouge qui, dans un geste généreux, a été offert au comptoir alimentaire du village. Les déchets compostés permettront au cycle de la vie de recommencer! Quand l’œuvre agro-culinaire-artistique-engagée sera terminée, nous nous retrouverons au centre de celle-ci, au centre de son œuvre : les pieds bien plantés dans notre communauté. C’est là que l’artiste nous veut pour que son œuvre stimule tous nos sens. Ainsi, nous serons en bonne position pour voir et écouter ce qui nous guette et décider d’amener cette œuvre encore plus loin : dans le tangible d’un futur meilleur.

Bonnie Baxter, l’être humain et l’artiste, nous invite à être les spectateurs des aspirations, des complaintes, des idéologies, des revendications d’un groupe choisi pour nous faire réfléchir à un monde différent de celui-ci. Un monde où notre conscience sociale, politique, environnementale nous fait dire : « Non, c’est assez! » Un monde où, même s’il est trop tard, on peut encore, grâce à la puissance de l’œuvre artistique, se raisonner tout en rêvant, de sorte que l’on ait envie de s’engager pour une justice climatique, une diversité des voix, une vie bonne pour tous.

Bonnie remercie ceux qui de près ou de loin ont partagé sa douce folie et son engagement : Michel Beaudry, son compagnon qui solutionne tous les problèmes; Abattage Excellence inc., qui a défriché pour mieux construire l’espace de culture; Jean-Claude Dufresne, un voisin patenteux professionnel par excellence; Dominique Guay, horticultrice au Marché Gariépy et chuchoteuse de tomates; Louise Duhamel, cuisinière à vie, chroniqueuse et coordonnatrice de la transformation des tomates; Thierry et Pascale Rouyé, propriétaires du restaurant La Table des gourmets, pour leur soutien technique super efficace dans le projet de transformation; Michel Dépatie et son service de drone; Claudine Gascon, de Croque Paysage; Nathalie Vocelle, des Jardins de Nathanaël, pour les clôtures de jardin; Jean-Sébastien Guay d’Hydromax à Val-David, qui a fourni les lampes pour l’ensemencement; Jocelyne Aird-Bélanger, traductrice à ses heures; Annie Germain, coordonnatrice du comptoir alimentaire, et son équipe, ses voisins, ses amis, ses élèves qui ont tous remué la terre et déplacé des montagnes… de roches, beaucoup de roches!

Vous voulez vous joindre au mouvement et trouver de meilleurs moyens de continuer à vivre ensemble? Rendez-vous au Musée d’art contemporain des Laurentides en 2022, du mois de février au mois d’avril. Vous vous retrouverez au sein de l’œuvre The Patch, dans un nouvel univers qui pourrait vous mener très loin de votre réalité. Vous entrerez au cœur du jardin de Bonnie Baxter et de son espace artistique puis vous naviguerez vers le futur grâce à cette installation immersive à 360 degrés. Un événement à inscrire à votre calendrier!

 

 

– Louise Duhamel

Pour voir l’article original tel que publié sur le site de “ski-se-dit”, c’est ici.